La compétition internationale dans les Business Schools
Par Bruno Dufour, jeudi 20 juillet 2006 à 10:38 :: Business Schools et Ecoles de Commerce :: #11 :: rss
Le monde de l'enseignement du management suit les mêmes problématiques que celles de l'entreprise. L'enseignement supérieur de management a découvert la compétition avec les classements et autres rankings. Challenge, le Financial Time, Business week, l'Express..tous ont leur classement. Il faut comprendre les classes de la compétition et les règles du "jeu concurrentiel" derrière ces classes. Ceux qui pensent y échapper, ne font que retarder leur entrée dans le jeu. La différenciation ne s'opére qu'après avoir atteint un seuil stratégique minimum.
Il existe au minimum 5 classes d'institutions d'enseignement supérieur du management.
Une première classe d'institutions internationales, � visée globale, ayant de 100 � 150 professeurs permanents, tous munis d'un doctorat ou d'un PhD, fortement qualifiés par des travaux de recherche connus internationalement, dont l'existence remonte pour la plupart du temps � plus de 30 ans et dont le budget en millions d’€ est certainement au-dessus de 60 M€. Dans cette catégorie, il existe au monde de 12 � 15 institutions, dont 3 en Europe qui sont l'INSEAD � Fontainebleau, l'IMD � Lausanne et la London Business School � Londres. Ces institutions ne peuvent exister que dans un environnement d'une cinquantaine de millions d'habitants au minimum. Aucune école consulaire ne peut prétendre appartenir � cette catégorie. La plupart de celles qui sont connues sont américaines et leur création est ancienne, certaines ayant plus d'un siècle d'existence.50% des étudiants dans ces institutions sont d’origine non nationale et l’enseignement est exclusivement réalisé en anglais. Ces institutions ont des activités importantes de recherche, de publication, de formation doctorale ainsi qu’une forte activité de formation continue � très haut niveau, et � l’échelon international. Cette activité représente souvent plus de 50% de leur chiffre d’affaires.
La deuxième catégorie représentée par les très bonnes institutions qui ont entre 80 et 130 professeurs permanents dont une bonne partie a des doctorats et le reste des 3° cycles. Il en existe une soixantaine dans le monde, dont environ 6 en France. Elles s'appuient sur une population vive de l'ordre de 10 M d'habitants et ont un budget qui varie de 25 � 50M€. Leur objectif est d'être de bonnes institutions nationales � vocation internationale. Elles ont nombre d'échanges et de partenariat au plan international, mais ne peuvent rivaliser avec les institutions de premier rang, car elles n'ont souvent au maximum que 30 % d'étudiants étrangers.
Pour passer de façon volontariste de la classe 2 � la classe 1, il faut, après s’être qualifié dans sa classe, environ 15 ans d'investissements importants, se montant � un total minimum d'environ 60M€, moitié en investissements académiques et recherche et moitié en bâtiments et moyens matériels.
Dans les institutions de la classe 2, il y a enseignement dans la langue nationale, qui reste dominante, et parallèlement enseignement en anglais. C'est ainsi que fonctionnent notamment les bonnes institutions européennes, tant en Italie, qu'en Espagne ou aux Pays Bas. On trouve également des activités de formation continue plutôt centrées sur la population nationale des cadres de haut-niveau.
La troisième classe comprend des écoles de 30 � 70 professeurs permanents, souvent munis de DEA et de plus en plus des docteurs (effet Equis). Ces écoles sont plutôt axées sur les deuxièmes cycles, de plus en plus des 3° cycles, mais souvent elles n'ont pas, comme les écoles des catégories supérieures, des programmes DEA ou doctoraux. Les budgets sont de l'ordre de 10 � 20 M€. Elles se reposent sur une base de population vive de 3 � 5 millions d'habitants et ont des objectifs essentiellement régionaux avec des prétentions nationales. Il en existe en France environ une quinzaine et dans le monde environ 300. L� aussi, pour se qualifier de la classe 3 � la classe 2, il s'agit d'une quinzaine d'années d'efforts et de 30M€ d'investissements partagés entre les investissements de qualification académique et de qualification matérielle.
La quatrième catégorie est représentée par des institutions plus modestes, qui ont surtout des premiers et deuxièmes cycles, de 5 � 30 professeurs permanents, sur un environnement de population de l'ordre d'un million de personnes et un budget de 3 � 8M€ environ. Pour passer dans la catégorie supérieure, il faut l� aussi une quinzaine d'années d'efforts et une 15M€ d'investissements, moitié investissements de qualification académique, moitié de qualification matérielle. Les objectifs de cette 4ème classe sont des objectifs essentiellement régionaux ou multi-régionaux. Il existe environ 1000 institutions au monde de ce type, dont une cinquantaine en France. Certaines sont privées, d'autres publiques ou semi-publiques.
La cinquième classe est représentée par des écoles beaucoup plus modestes, souvent privées et non reconnues par l’Etat, qui n'ont pas forcément de corps professoraux permanents, et se trouvent dans des villes d'importance moyenne. Il en existe sans doute plus de 5 000 au monde, dont 300 environ en France. Leur budget de fonctionnement est souvent inférieur � 2 M€. La aussi, si elles veulent se qualifier pour passer dans la classe supérieure, c'est une quinzaine d'années d'efforts et environ une 10M€ d'investissements partagés comme précédemment. Ces écoles ont des objectifs essentiellement locaux et sont destinées � former des premiers cycles pour des PME de leur environnement direct. Les pédagogies sont essentiellement axées sur des pédagogies pragmatiques, des enseignements réalisés par des responsables d'entreprise qui ont la générosité de disposer d'un peu de temps pour l'enseignement, mais ces écoles n'ont aucune prétention, ni comme d'ailleurs celles de la classe 4, voire celles de la classe 3, � développer d'ambitieux programmes de recherche, ni du matériel pédagogique.
Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5 Nombre de Professeurs 100 � 200 permanents 70 � 120 permts 30 � 70 permts 5 � 30 permts Pas toujours de permanents Qualification du corps professoral Tous munis d'un doctorat ou d'un PhD Doctorats et/ou 3° cycles DEA et quelques doctorats 2éme Cycles et Profession. Vacataires Et Profession.
Importance de la recherche Travaux connus internat. Travaux connus national. Pas ou peu de recherche Pas de recherche Pas de recherche
Budget en M€
100
20 � 100
10 � 20 2 � 20
< 2
Base de population en M 50 10 3 � 5 1 Villes d'importance moyenne Langue d'enseignement anglais Lang. nat. + anglais Langue nat. Langue nat. Langue nat. Investissements (*) en M€ 15 ans 60 15 ans 30 15 ans 15 15 ans 10 Nombre d'Institutions M :12 � 15 E : 3 M : 60 F : 6 M : 300 F : 20 M : 1 000 F : 50 M : 5 000 F : 300
M : Monde E : Europe F : France (*) investissements en temps et argent pour se qualifier dans la classe et franchir le seuil supérieur. Il peut s’agir de locaux, d’équipements ou de qualification du corps professoral, de création de réseaux internationaux…
Le processus de qualification d'une institution doit aussi bien s'analyser au sein de sa catégorie qu'au niveau des franchissements de seuil. C'est ainsi que, si nous estimons � une quinzaine d'années l'effort pour franchir un seuil, si nous chiffrons par exemple � environ 60M€ l'investissement pour passer de la catégorie 2 � la catégorie 1, il faut aussi comprendre que pour franchir toutes les étapes dans la catégorie 2, c’est-� -dire du niveau le plus simple niveau jusqu'au niveau le plus élevé avant le franchissement du seuil, la durée est également d'une quinzaine d'années et les investissements sont vraisemblablement aussi de l'ordre de 60M€. Il faut en effet constater que les institutions qui décident ainsi de progresser en se qualifiant au plan international ou global vont progressivement perdre le contact avec leur milieu de référence. Ce débat a d'ailleurs eu lieu au sein des CCI et engendre souvent des évolutions importantes de gouvernance (ESC Rouen, Euromed) L'expérience depuis 1970 semble indiquer que des investissements aussi importants doivent être faits de façon sélective et dans des environnements bien définis. On ne crée pas sans risque des institutions d’enseignement supérieur, pas plus qu’on ne peut décider de hâter leur qualification .Il faut également s’efforcer d’anticiper les effets des nouvelles technologies éducatives.
Certes, il faut que la compétition et l'émulation permettent aux meilleurs de se qualifier, mais en matière d'enseignement supérieur, comme de beaucoup d'investissements d'infrastructure, il est important de regarder dans quel environnement se placent ces investissements.
On a assisté aussi � une forme de défragmentation du marché de l’offre par fusion successive d’école. Dans la plupart des cas il s’agit de racheter « des parts de marché », mais souvent ces nouveaux groupes n’ont pas su développer toutes les approches de synergie permettant de réaliser les économies où les évolutions qualitatives nécessaires (ex IGS). Les écoles ne se gèrent pas exactement comme des entreprises.
Ceci n'interdit pas une réflexion de type aménagement du territoire, où des pôles d’excellence ne puissent, en bonne intelligence avec leur environnement et avec le soutien des instances territoriales, animer des zones importantes.
Les procédures d’accréditation type américaines comme l’AACSB ou européennes comme Equis (cf encadré) ont largement contribué au développement quantitatif et qualitatif de ces institutions et depuis 10 ans l’effort de qualification en France des écoles a été remarquable. Ceci n’est pas sans poser quelques problèmes. Ces investissements nécessitent des ressources financières et toutes les écoles ne sont pas logées � la même enseigne. Certaines CCI ont du faire des choix et par exemple la CCIP qui a fusionné ESCP et EAP, HEC et le CPA et CRC, pour avoir des dispositifs mieux armés face � la concurrence internationale.
Nombre d’écoles ont du revoir � la hausse leur frais de scolarité, car outre les évolutions qualitatives il faut aussi penser aux locaux et autres moyens techniques indispensables.
Et il est vrai que l’ESCP-EAP dispose aujourd’hui d’une organisation européenne remarquable (Paris, Londres, Berlin, Madrid, Turin) et qui correspond bien au positionnement souhaité par l’esprit des accords de Bologne, qui doit favoriser les échanges universitaires européens, par la convergence des différents stades diplômes.
D’autres écoles on choisi le mode consortium, et par exemple HEC avec le CEMS, encouragé en cela par les systèmes ECTS qui facilite la lecture des unités de valeur (crédits) entre institutions.
Le dispositif d’enseignement supérieur de management et son corollaire Executive Education est en pleine mutation sous ces différentes influences.
Peu d’institutions publiques arrivent � mettre en œuvre ce type de démarche et de mobilisation stratégique. Le fonctionnement de leur tutelle est un handicap majeur et entrave considérablement leur qualification et développement international, alors qu’il faut bien remarquer qu’elles sont souvent exemplaires dans la qualification de leurs ressources professorales. Ceci explique qu’� l’exception de quelques unes comme l’IAE d’Aix, elles aient des difficultés � se ranger dans le cadre de procédures d’accréditation internationales. Elles ont d’ailleurs conçu et mis au point des modalités Qualicert qui leur sont propres et sont plus conformes � leurs moyens et projets.
Sélectionner un, ou plusieurs, partenaires académiques pour développer une UE est un exercice qui demande une certaine qualification. Le fonctionnement d’une institution n’étant pas celui d’un prestataire classique, il faut comprendre les modalités de fonctionnement d’une institution avant de l’approcher. La lecture de l’ouvrage de Peter Lorange, Directeur de l’IMD, New vision for management education (Pergamon 2002) donne des clefs.
Une institution est d’abord constituée par un corps professoral qui s’est qualifié par ses recherches. Il faut donc connaître les domaines d’expertise de la faculté. De la même façon que nous n’allons pas indifféremment chez l’ophtalmologiste ou le dentiste, les entreprises doivent d’abord identifier les institutions qui sont proches de leurs préoccupations. Un professeur de marketing industriel ne fera pas un cours de finance ni même de marketing de grande consommation. Cette lecture des expertises prend du temps. Une façon de la raccourcir est de regarder les sites web ou les brochures de l’institution pour voir quels programmes spécialisés elle a développés et de voir si ces expertises conviennent.
Les institutions font également des journées portes ouvertes. Une rencontre avec les membres de la faculté peut être intéressante. Se procurer leurs ouvrages � la librairie du campus et les lire va considérablement faciliter le contact. Participer aux réseaux est une autre façon de se faire une idée de qui fait quoi par l’intermédiaire de pairs d’autres entreprises. En ce sens les réseaux Executive Education, ou réseaux d’UE comme ceux de l’EFMD sont précieux en tant que qualification du responsable de l’UE.
Il peut être intéressant de participer � des séminaires connexes et par exemple le « New Deans seminar » ou « Deans and Directors » de l’EFMD (www.efmd.org) car c’est l’occasion de discuter avec des dirigeants d’institutions et d’en savoir plus.
Se qualifier en tant que responsable d’une UE consiste � se donner les moyens de mieux définir et de bien négocier les prestations intellectuelles externes.
Les institutions ont des ressources qu’il faut savoir solliciter. Mastering executive Education de Paul Strebel de l’IMD, Prentice Hall 2005, permet de mieux comprendre les savoir faire spécifiques que les instituions peuvent mettre � disposition. Développer un partenariat permet � terme de bénéficier, contractuellement ou non, d’autres services annexes : recrutement de stagiaires ou d’étudiants, écriture d’un cas sur l’entreprise, contrat de recherche, chaire…et symétriquement pour l’institution qualification du corps professoral.
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