Parmi les évolutions importantes des programmes de formation des dirigeants, qu’ils soient délivrés en ou hors les Universités d’Entreprise on trouve parmi les incontournables les programmes de leadership. Ce ne sont pas les seules innovations récentes de l’offre réservée aux dirigeants. Ces derniers temps de multiples changements sont intervenus, affectant le contenu, l’organisation et les objectifs de ces programmes. L’accroissement des pressions sur les managers, sur les coûts, sur les durées, sur les délais, sur le retour sur investissement, et donc sur les contenus, comme sur les livrables de ces programmes, on transformé l’offre de formation. Ceci affecte aussi bien les prestataires, les clients, que les intermédiaires. Là où jadis on trouvait des séminaires résidentiels classiques dans des châteaux fort confortables, on découvre désormais un ensemble de pratiques appareillant conjointement: programmes (de plus en plus courts), process (assessment, 360°, carreer development, coaching, mentoring, consulting, balanced score-card), projet (action learning, management de projet), des plates-formes (e-learning, blogs, forum et réseaux virtuels, virtual learning centers). Traditionnellement destinés à qualifier les participants, ces programmes sont maintenant centrés sur l’accompagnement du déploiement de la stratégie de l’entreprise et le relais actif des propos des membres des comités de direction. Peut-on encore parler de formation ? Les problématiques de performance et de « talent management » dominent les préoccupations qui n’ont en effet plus grand-chose à voir avec la formation. L’approche stratégique de « talent supply chain » permet d’identifier la future carte des besoins en compétences distinctives et ainsi d’en faciliter l’acquisition. Ces nouvelles pratiques caractérisent les nouveaux positionnements de la fonction Ressources Humaines en partenaire stratégique de l’équipe de direction. Les schémas organisationnels classiques ont explosés sous nos yeux et il est désormais bien difficile d’expliquer un organigramme, si toutefois il existe encore. Ces transformations ont profondément modifié les pratiques managériales qui ont quitté durablement le domaine du stable pour migrer vers le turbulent. Le recentrage sur les clients, le niveau de compétitivité, la recherche constante d’innovations, de résultats, les fusions/acquisitions, le nécessaire besoin de sens pour les collaborateurs, appellent un management différent que l’on qualifie de leadership. Pour identifier et préparer ces leaders tout devient possible. Les hauts potentiels sont identifiés, choyés, entraînés, coachés et progressivement mis à l’épreuve du terrain, évalués sous tous les angles… bref ils sont sous le feu des projecteurs et deviennent des compétiteurs de haut niveau avec leur entraîneur et guru personnel, comme autant de futurs stars du football, du tennis ou du show business. Faut–il pour autant créer une « leader académie » à l’instar de certaines émissions de télévision à succès ? Cette starification hâtive a ses limites, notamment dans la sous estimation du besoin de jeu collectif nécessaire à la réussite de toute entreprise. Elle est par ailleurs dangereuse pour les élus si par malheur ils ratent une étape, n’ont pas l’ensemble des qualités requises, ou si un événement personnel vient à les frapper. Toutes les modes ont leurs excès et celle-ci n’y échappe pas. Examinons les causes. Quelques outrances pour commencer : • Une financiarisation extrême associée à un cour-termisme abusif qui favorise les abus de pouvoirs des investisseurs institutionnels et parmi eux fonds de pension, dont curieusement les actionnaires sont les salariés eux-mêmes, l’auto flagellation n’a pas de limite • Une médiatisation excessive et réductrice des figures directoriales : Présidents et Directeurs Généraux, et leurs effets désastreux sur la gouvernance des entreprises. Cette dérive engendre une véritable surconsommation de talents qui engendre autant de besoins pour de nouvelles candidatures. • L’absence de contre pouvoirs légitimes pour équilibrer ces effets néfastes en interne, car le politiquement correct règne en maître et bien fol est qui y déroge dans les étages supérieurs Mais aussi des règles du jeu et des outils technologiques qui changent dans un monde économique qui accélère sa globalisation. Il faut constater en effet que chaque génération doit se préoccuper de recycler un tiers de sa population active. Ceci s’est produit avec les populations agricoles, puis industrielles et maintenant cela touche désormais les services. Lutter contre les délocalisations semble être une entreprise vouée à l’échec, d’autant qu’il faut bien créer de l’emploi et des richesses là où les gens vivent si l’on veut éviter des flux migratoires incontrôlés. Alors se pose la question comment former les futurs leaders après les avoir repérés ? Signalons au passage que cette question a toujours été à l’ordre du jour et que les initiations des futurs prêtres égyptiens, il y a quelques millénaires, dans le rite d’Hermès, étaient redoutables pour tester la résistance et la stabilité psychique des impétrants. (Quelques drogues subtiles leur faisaient vivre leur propre mort dans une simulation fort convaincante, et s’affronter en même temps à des fantasmagories effrayantes.) Comme cela est dit et répété dans la littérature, pour devenir un leader, il faut premièrement le vouloir, et ensuite en avoir le potentiel. Mais il est aussi fort possible, si ce n’est enviable, de vivre une vie professionnelle d’expert, sans avoir à affronter en permanence la rudesse et le stress des confrontations. Vouloir être un leader signifie accepter des sacrifices, recevoir des coups, vivre des trahisons, surmonter le coût humain, personnel, familial, les échecs, les deuils, les cotés sombres, les incohérences, les paradoxes, parfois les compromissions, les conflits et tensions, l’isolement, les décisions difficiles et impopulaires.. la liste est longue. Les gratifications narcissiques offertes au travers des pages des médias ne calment que superficiellement toutes ces angoisses et n’effacent pas les questions qui troublent le sommeil. Doit on le répéter ici le stress est une maladie, un syndrome immunodépresseur, qui favorise beaucoup d’autres aléas de santé. Vouloir devenir leader implique une bonne santé et une bonne hygiène mentale et physique ( QI, QE, QV : quotient intellectuel, quotient émotionnel, quotient de vitalité). Ceci implique d’avoir aussi le partenaire de vie idoine, et le style de vie approprié. Ces conditions étant requises, il reste l’apprentissage technique qui désormais implique beaucoup de travail personnel : • Le développement personnel et éthique : Il n’est pas rare de trouver aujourd’hui les séminaires ou parcours ad hoc dans ce domaine. Ils débutent souvent par des tests psychométriques types MBTI, FIFO, 360° ou autre dispositif d’autoévaluation. L’objectif est d’amener chacun à se resituer par rapport à lui-même, à un groupe de référence, à une équipe, et d’obtenir un document personnalisé de chemin de progrès en phase avec le référentiel de management qui est souhaité pour lui. Les grandes dimensions analysées peuvent varier d’une entreprise à l’autre mais sont souvent communes au détail près : capacités managériales, écoute, communication, aptitude au développement des collaborateurs, dimensions entrepreneuriales, souci de performance, transparence, éthique, capacité à résoudre des problèmes, responsabilisation, engagement, courage etc..la littérature managériale abonde sur un mode relativement convergent, mais dont le souci d’exhaustivité frise l’irréalisme sinon le ridicule. Le mode de l’assessment s’est enrichi des assessment centers qui peuvent désormais se situer au sein de l’entreprise avec des observateurs internes et externes. • Le développement organisationnel, les approches systémiques et le management de la complexité Cette dimension est moins bien couverte, surtout en Europe Latine, ou le « chef » est supposé se substituer au déficit organisationnel par tradition culturelle. Des mises en situation (Looking Glass, dilemme du prisonnier , Active Leader, ou exercice Outdoor, jeux de simulation) permettent de former par l’observation in vivo les diagnostic des capacités organisationnelles des managers : écoute, travail en groupe, sens du jeu collectif, aptitude à la résolution de cas en groupe, attitude face à l’inconnu, à la complexité, à la pensée systémique. Dans cette approche comme dans la première il s’agit surtout de faire prendre conscience, de donner quelques éléments de référence et de proposer par un coaching approprié un chemin de progrès • Le développement fonctionnel et technologique Même s’il n’est pas un expert de tous les domaines le leader doit être capable de s’investir suffisamment dans tous les domaines techniques et fonctionnels de l’entreprise pour en assurer la cohérente et livrer les arbitrages au bon moment. L’illettrisme informatique, marketing, financier, logistique, juridique… est rédhibitoire car il peut engendrer des conséquences graves et laisser des pans entiers de l’entreprise à des experts. Cela peut correspondre à un abandon de poste dans certains cas. Les déboires informatiques de certaines entreprises sont là pour témoigner à quel point les dirigeants ont trop souvent sous-traité des décisions capitales. Le management d’expert implique que l’on connaisse au moins partiellement le domaine d’expertise. On ne sous-traite bien que ce que l’on connaît bien. L’illettrisme en anglais s’interprète lui aussi sur les mêmes bases, car en matière de management 95% de la production intellectuelle de qualité est en anglais. L’acquisition de ces savoir faire est essentiellement cognitif, mais les moyens modernes aident considérablement et les ouvrages pertinents abondent. • Le développement professionnel et la maîtrise de la vision, de la stratégie, des valeurs et de la culture de l’entreprise. Il est vraisemblablement trivial de dire qu’un dirigeant doit connaître son entreprise et l’environnement dans lequel elle se trouve. N’ayons pas peur de le dire car la mobilité de certains dirigeants aurait tendance à laisser croire que tous les leaders peuvent tout diriger. L’observation montre que les entreprise performantes ont des équipes stables qui connaissent bien leur domaine. On peut rétorquer que l’inconvénient de telles équipes est leur conservatisme et leur difficulté à sortir des conventions établies quand l’environnement change. C’est effectivement le cas si l’équipe n’a pas été en mesure d’interpréter les évolutions de l’environnement et ceci renvoie à leur maîtrise du domaine. Les talents d’observation, d’échange, de travail en réseau interne et externe, l’écoute des clients, des fournisseurs, le benchmarking des concurrents ou voisins, le travail en mode projet (action learning, la méthode des scénario, le voyage de découverte) apportent autant de pistes d’enrichissement et de réflexion. La maîtrise de la vision et des axes de la stratégie, comme celle des plans de mise en œuvre s’acquiert au travers de programmes dédiés et spécifiques en interne, et c’est souvent ce qui caractérise les Universités d’entreprise. Leurs séminaires mêlent à la fois la participation des dirigeants avec des présentations d’experts externes dans des séminaires qui sont autant de moments privilégiés pour que les équipes de directions dialoguent avec l’encadrement et en premier chef les fameux hauts potentiels. Les recommandations de bon sens pour ceux qui ont la charge de la préparation des dirigeants, consiste à respecter les personnes , en premier chef, puis à comprendre la culture et les fonctionnements nouveaux de l’entreprise, -un peu d’anthropologie appliquée ne nuit pas -, à éviter le management paradoxal en tant que système de management. Donner du sens, écouter et montrer l’exemple restent des vertus cardinales au travers des générations. Ces dernières années la pratique de formation des dirigeants a quitté la traditionnelle approche cognitive des Business Schools pour prendre un tour plus sophistiqué impliquant des pratiques issues des sciences sociales avancées et cherchant à couvrir un champ de compétences beaucoup plus vaste. L’emphase mise sur des observations et des interventions jadis considérées comme du domaine de l’intime. Le souci de renforcement de toutes les compétences sociales, médiatiques voire politiques, en plus des compétences professionnelles et techniques changent durablement la nature des formations, ou plus exactement des apprenances (learning) proposées. Etre dirigeant aujourd’hui est considérablement différent d’il y a dix ans, et se rapproche plus par certain aspects d’une forme de « star system », jadis essentiellement occupé plutôt par les dirigeants politiques. Le pouvoir aurait-il changé de camp ! Il y a des modes en management. Il y a des modes en matière de formation de management. Les offreurs de solutions toutes faites, et valables pour tous, abondent. Vraisemblablement la manière dont les dirigeants et, a fortiori les entreprises, apprennent a changé. D’autant que chaque situation est particulière, et que les différentes cultures d’entreprise engendrent des styles d’apprenance particuliers. Il est peut-être temps de creuser cette question avant d’imaginer encore d’autres solutions encore plus originales. Comment apprennent les dirigeants ? La question a tout son sens par rapport aux enjeux. Quelques ouvrages : Bournois, Roussillon : Préparer les dirigeants de demain, EO Innovative Corporate Learning Plompen, Dufour Palgrave 2005-01-13 Jack Welch Warren Bennis Henry Mintzberg Former des managers pas des MBA, EO 2005